Grands-pères et champagne
« Ce grand-père-là est né en 1900, le 1er mai. Avec ma grand-mère, ils avaient tenu le café et l’épicerie du village car les vignes ne « nourrissaient pas son homme ». Ce qu’il récoltait dans ses vignes, il le vendait en vin blanc (qu’on appellerait maintenant coteau champenois), et faisait ses livraisons avec son vélo et sa remorque dans un rayon de 50 km environ.
Il avait un ami, Monsieur Monvoisin, qui travaillait dans une Maison de champagne dans la Marne. Ils ont parlé champagne ! Alors en 1931, avec Maurice Patour et Georges Carreau, ils ont commencé à faire des essais et à élaborer « leur » champagne.
À l’époque, les récoltes étaient misérables,
mais ils se sont accrochés, se partageant l’achat des machines indispensables, même si beaucoup d’opérations se faisaient à la main et à l’instinct.
En 1931, à 41 ans, celui-ci était déjà bien installé dans son métier de vigneron et de prestataire pressureur. Je ne sais pas à quel moment il a commencé l’élaboration du champagne, quelques années plus tard en tout cas.
Toujours est-il que, petit à petit, chacun au village a produit et développé sa propre marque.
Cette exploitation est devenue la maison de mes parents après leur mariage en 1947. Ils perpétuaient ainsi la champagnisation amorcée par leurs aînés. C’est là que je suis née. Ils ont eux aussi, fait évoluer le métier et expédiaient leur champagne par le train à la gare de Polisot à 2 km du village.
Les vendanges à l'époque commençait mi-octobre
Le gamay planté ici était plus tardif et au pressoir, on recevait des raisins jusque mi-novembre. Les choses ont un peu changé quand nous avons dû tout replanter en pinot dans les années 50. Le vignoble avait déjà connu un renouvellement suite à la crise du phylloxéra à la fin du 19 ème siècle. A partir de 1962, le gamay fut finalement interdit dans l’élaboration du champagne.
L’entre-aide du début a duré longtemps car je me rappelle que famille et amis venaient participer au tirage, au dégorgement ou encore à la vendange, et ceci pendant 3 générations. Avec ma sœur aînée, on grattait les bouteilles que les clients nous rapportaient après dégustation. Elles trempaient dans une grande baignoire en bois et quand il faisait froid, je me rappelle de la sensation au bout des doigts ! On redressait aussi les agrafes qui étaient récupérées au dégorgement pour servir à nouveau au tirage suivant.
Puis les exploitations se sont plus ou moins agrandies, les règles sociales se sont multipliées et chacun, maintenant, gère sa propre entreprise et ses employés. »
Petit à petit, d’autres vignerons se sont joints à eux et c’est ainsi qu’a démarré l’élaboration du champagne à Celles-sur-Ource.
Ce grand-père là, c'était Marcel Tassin !
Ses parents et grands-parents travaillaient déjà la vigne.
L’autre grand-père lui, était de 1890. Avec son frère, ils avaient installé 2 pressoirs de 4000 kg dans la grange de la propriété.
Le premier, acheté d’occasion en 1925, avait été électrifié un peu plus tard. Il a fonctionné pour plusieurs générations jusqu’en 1999. Le 2ème pressoir, un peu plus récent (1930 peut-être), avait, lui, gardé sa roue d’écureuil !
Ces 2 pressoirs recevaient les raisins des vignerons alentour pour être pressés. Le moût était livré à des négociants de la Marne. En ce temps, le transport était à la charge de l’acheteur, et de ce fait, le moût était moins valorisé que dans d’autres secteurs de l’appellation.
Ce grand-père-là, c’était René Gautherot !
Ses parents et grands-parents travaillaient aussi la vigne.
par Marie-Claire Huguenot-Tassin